Bayrou et Villepin: la querelle de l'autoroute sur voie rapide

François Bayrou a perdu son sens de l'humour. Vendredi, lors d'une conférence de presse au siège de son parti, le président de l'UDF a répliqué sur un ton acerbe à la pique de Dominique de Villepin : «J'aurais souri si le sujet avait été léger. Mais il se trouve que ce n'est pas un sujet léger. Naturellement traité au coeur de l'été pour que personne ne s'en aperçoive, il concentre toutes les dérives qui expliquent la situation française.» François Bayrou est tellement peu enclin à la rigolade qu'il a annoncé son intention de saisir le Conseil d'Etat pour excès de pouvoir de la part de Villepin. Pas moins. Au coeur de cette rixe : la privatisation des autoroutes pour rembourser une partie de la dette du pays, décidée par le gouvernement le 18 juillet. «Catimini». Répondant à une première attaque de Bayrou, Villepin lui avait rappelé, dans un «bref message SMS» mercredi, que le standard de Matignon fonctionnait même l'été et qu'il valait mieux régler les problèmes entre soi plutôt que par médias interposés (Libération de jeudi). Mais le leader centriste ne décolère pas. «La vente à des intérêts privés des sociétés d'autoroutes porte atteinte à l'intérêt national», a-t-il expliqué de nouveau vendredi. Et il s'est trouvé de nouveaux alliés, comme le rapporteur (UMP) du budget à l'Assemblée nationale, Gilles Carrez. Dans un entretien au Télégramme de Brest publié vendredi, ce dernier s'est insurgé contre «une décision de court terme», «prise en catimini» et «contraire à ce que devrait être la philosophie économique de l'Etat». Un soutien inattendu, car même la gauche est restée timide sur la question : le numéro 1 du PS, François Hollande, s'est contenté de dénoncer, dans le Monde daté de samedi, le «bradage du patrimoine public». A l'inverse, dans cette affaire, les libéraux suivent le gouvernement. Comme Hervé Mariton, rapporteur (UMP) du budget des transports à l'Assemblée, qui a jugé que Bayrou était «victime d'un instinct conservateur qui l'empêche de voir l'intérêt de la privatisation pour le développement des sociétés autoroutières, de l'économie et de l'emploi». Bayrou, lui, a décidé de passer à une vitesse supérieure. Et de s'engouffrer dans la voie d'une opposition un peu plus frontale au gouvernement. En ligne de mire : les échéances électorales de 2007. Il avait déjà convaincu la formation centriste de ne pas participer au gouvernement Villepin et suspendu Gilles de Robien des instances dirigeantes de l'UDF pour avoir accepté le ministère de l'Education nationale. Son positionnement critique sur la privatisation des autoroutes est aussi une manière de vérifier la solidarité gouvernementale de Robien, alors que ce dernier, ministre des Transports à l'époque, s'était prononcé contre cette cession en 2003. Subtilité. «Le gouvernement n'a pas le droit de prendre cette décision sans l'accord du Parlement», a jugé le leader centriste. La loi du 2 juillet 1986 sur les privatisations prévoit en effet que, si l'Etat est «directement» majoritaire, la privatisation ne peut être décidée que par le Parlement, et non par décret comme entend le faire Villepin. La subtilité réside dans ce «directement». Bercy argue que la participation de l'Etat doit être directe pour être autorisée par la loi. Or, dans le cas des autoroutes, «la moitié des participations de l'Etat sont portées par un établissement public». Mauvaise foi, rétorque le président de l'UDF, car «Autoroute de France ce n'est pas autre chose que l'Etat». Prétendre le contraire, c'est «détourner la loi», ajoute-t-il. Et, comme l'a décidé en 1986 le Conseil constitutionnel, dans «l'éventualité d'un détournement de procédure [...], il appartiendrait aux juridictions compétentes de paralyser et de réprimer de telles pratiques». D'où la décision de Bayrou de saisir le Conseil d'Etat. En tout cas, cette bataille d'interprétation juridique risque d'être difficile à résoudre à coups de SMS.